Allocation d’ouverture de John E. Scanlon, Secrétaire général de la CITES, au Symposium sur le rapport entre droit international et droit national de l’environnement

Mise à jour le 12 janvier 2021

Symposium sur le rapport entre droit international et droit national de l’environnement

Allocution d’ouverture

La CITES et le commerce des espèces sauvages – Coopération internationale et action nationale

John E. Scanlon

Secrétaire général, Secrétariat de la CITES

Tel Aviv, Israël, 31 août 2015

 

Je vous souhaite le bonjour et remercie nos collègues de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs d’avoir organisé ce symposium et de m’offrir cette occasion de prendre la parole devant vous.

La question de savoir quels aspects du commerce des espèces sauvages relèvent du droit international, et quel rapport celui-ci entretient-il avec le droit national, est fréquemment soulevée tant par les médias que l’opinion publique, et c’est un grand thème pour notre symposium aujourd’hui. Dans le temps qui m’est imparti, je vais aborder quelques uns des aspects les plus fréquemment évoqués, et m’étendrai en particulier sur la lutte contre la fraude, sujet qui suscite de nombreuses discussions.

Les origines de la CITES

Avant l’adoption de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction), le commerce international des espèces sauvages ne faisait l’objet d’aucune réglementation au plan mondial.

Consequently, with the exception of certain national laws or bilateral or regional agreements1, a State was free to trade with any other State in wild animal or plant species, in any quantity, and without needing to report such trade to any global entity.2

En conséquence, et à l’exception de certaines législations nationale et accords bilatéraux ou régionaux1, un Etat était libre de se livrer avec tout autre Etat au commerce d’espèces de faune ou de flore sauvage, sans limite de quantité et sans être tenu de faire rapport sur ces transactions auprès d’une instance internationale.2

C’est dans une décision de l’assemblée générale de l’UICN tenue à Nairobi en 1963 que s’exprime pour la première fois la nécessité d’une convention destinée à réglementer le commerce international des espèces sauvages. En 1972, Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain tenue à Stockholm appelait à des négociations sur une convention à conclure dès que possible, et le gouvernement des Etats Unis répondit à cet appel en organisant une Conférence plénipotentiaire en 1973, qui déboucha sur l’adoption de la CITES le 3 mars de la même année.3Aujourd’hui, la CITES compte 181 Etats Parties4 et elle est considérée comme l’un des instruments internationaux sur l’environnement les plus efficaces, sachant que la CITES est de plus en plus reconnue dans le contexte du développement durables, comme je l’explique ci-dessous.

Donnant suite à une résolution adoptée à la 16e session de la Conférence des Parties (Bangkok, 2013), en décembre 2013 l’Assemblée Générale des Nations Unies a désigné le 3 mars, date d’adoption de la CITES, Journée mondiale de la vie sauvage.

Le fonctionnement de la CITES

Permettez-moi de consacrer quelques instants à décrire comment la CITES fonctionne, ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.

Ce qu’il convient peut-être de souligner en premier lieu dans le contexte de ce symposium, c’est que la CITES n’est pas un instrument auto-exécutoire, même si certains pays incorporent les accords internationaux dans leur législation. Elle impose aux Etats parties à la Convention des obligationsqui doivent être traduites dans le droit national, notamment la désignation des autorités et organes compétents, afin de d’assurer que le commerce d’espèces inscrites à la CITES est conforme aux dispositions de la Convention et de sanctionner toute transaction y contrevenant.

La CITES, instrument unique en son genre, a établi des procédures de respect de la Convention, dont la possibilité pour le Comité permanent de prendre diverses mesures pour veiller à son application. Parmi les mesures qui ont été prises, mentionnons celles qui se rapportent à des niveaux de commerce non durable, à la non présentation des rapports annuels, à une législation insuffisante, ou à des manquements persistants dans l’application effective de la Convention. Je reviendrai plus en détail sur certaines de ces mesures.5

La CITES est une convention qui porte tant sur le commerce que sur la conservation. Elle prend des mesures relatives au commerce afin d’atteindre son objectif de conservation, lequel consiste à s’assurer que les espèces sauvages, tant animales que végétales, se font pas l’objet d’une exploitation non durable du fait du commerce international.6

La Convention règlement les transactions commerciales et non commerciales de plus de 35 000 espèces d’animaux et de plantes, y compris leurs parties et produits dérivés, qui se retrouvent souvent dans des médicaments, des produits alimentaires, des matériaux de construction, des cosmétiques, des vêtements ou de l’ameublement. La nature des diverses mesures qu’utilise la CITES pour réglementer ce commerce dépend essentiellement du statut biologique des espèces concernées.

Pour certaines espèces,7 le commerce international de spécimens prélevés dans la nature est interdit. Ces espèces sont inscrites à l’Annexe I de la Convention, et elles sont identifiées comme étant menacées d’extinction. Cette interdiction porte notamment sur le commerce de l’ivoire d’éléphant, de la corne de rhinocéros, des grands singes, des tortues marines et des tigres. 

Pour d’autres espèces, le commerce international est strictement réglementé afin de s’assurer qu’il est légal, durable et traçable.8 Ces espèces sont inscrites à l’Annexe II de la Convention et elles sont identifiées comme n’étant pas encore nécessairement menacées d’extinction, mais pouvant le devenir si leur commerce n’est pas strictement réglementé.  Ce commerce légal et réglementé concerne notamment les peaux de crocodile et de python, la chair de strombe géant, la laine de vigogne et l’écorce de prunier d’Afrique.9

De nombreuses espèces d’animaux et de végétaux sont inscrites aux différentes annexes mais la Convention n’établit aucune distinction entre les espèces charismatiques et d’autres moins connues, même si certaines espèces, notamment animales, font l’objet d’une attention particulière. Dans ce sens, on pourrait dire qu’au tire de la CITES toutes les espèces sont égales, mais selon le jugement de l’opinion publique, "certains animauxsont plus égaux que d’autres."10

La CITES, qui porte à la fois sur le commerce et la conservation, n’encourage ni ne décourage le commerce ; elle réglemente les transactions commerciales portant sur des espèces sauvages inscrites à ses Annexes afin d’assurer que ce commerce est légal, durable et traçable. En vertu du droit international, les Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources biologiques.11 La décision d’autoriser ou non le commerce appartient au pays, sous réserve, bien entendu, que celui-ci remplisse ses obligations internationales, en particulier au titre de la CITES.

La CITES : une convention dynamique en constante évolution

Le monde a beaucoup changé depuis 1975, année de l’entrée en vigueur de la CITES. A cette époque, il connaissait une prospérité croissante, une mutation des modes de production et de consommation, une amélioration considérable des connaissances scientifiques, des avancées technologiques phénoménales et, surtout, une croissance exponentielle des échanges mondiaux. Un bref coup d’œil aux données démographiques indique que la population mondiale est passée de 4 à plus de 7 milliards d’êtres humains, ce qui représente un surcroît de 3 milliards de consommateurs d’espèces sauvages et de produits d’espèces sauvages.

La CITES est aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était lors de son entrée en vigueur il y a 40 ans, et ce parce qu’elle est restée centrée sur son objet, qu’elle est axée sur des actions concrètes et qu’elle fait preuve de dynamisme. 

Pour s’adapter aux réalités changeantes, la CITES n’a cessé d’évoluer au cours du temps, notamment en élaborant des procédures pour le respect de la Conventions, en étendant les contrôles commerciaux au titre de la CITES à de nouvelles espèces marines et espèces de bois12, en utilisant au mieux les technologies émergentes et en renforçant les efforts collectifs pour l’application et la lutte contre la fraude.13 Cette évolution va se poursuivre.

La CITES et le développement durable

Le fait que la Convention a conservé toute sa pertinence trouve peut-être son expression la plus forte dans les ‘résultats’ adoptés par la Conférence des Nations Unies sur le Développement durable, Rio+20 en 2012, où le rôle important que joue la CITES est reconnu, comme “un accord international qui se situe au carrefour du commerce, de l’environnement et du développement.”14

Du fait de cette reconnaissance, les liens entre l’application de la CITES et le développement durable se sont trouvés renforcés, et ont acquis une portée plus grande encore avec l’adoption le mois dernier par l’Assemblée générale des Nations Unies de la première résolution consacrée spécifiquement à la Surveillance du trafic des espèces sauvages; en outre, l’AGNU s’apprête à adopter les Objectifs de développement durable au mois de septembre de cette année. La mise e œuvre de la CITES contribuera dans une vaste mesure à la réalisation de ces objectifs et des cibles qui leur sont associées.

La CITES, le commerce international et l’OMC

Comme vous l’aurez compris, la CITES fixe des mesures internationalement acceptées qui réglementent le commerce international des espèces sauvages inscrites aux Annexes. Cela signifie que la CITES est en contact direct avec les règles du commerce international.

Depuis plus de 40 ans, le régime réglementaire de la CITES coexiste harmonieusement avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (et avec l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, GATT, qui l’a précédée).  Nous en avons récemment rendu compte en détail avec  la publication en 2015  du document  La CITES et l’OMC : Renforcer la coopération en faveur du développement durable, qui note qu’au cours des 40 ans d’existence de la Convention, il n’y a pas eu un seul différend avec l’OMC qui mettre directement en cause une mesure de la CITES relative au commerce.

Sans la CITES, le commerce international des espèces sauvages resterait non réglementé, sinon par les législations nationales lorsqu’elles existent (ou des accords bilatéraux ou régionaux) dont l’application pourrait facilement déboucher sur des différends au titre de l’OMC.

La Loi Lacey, votée aux Etats Unis  en 1900,  constitue peut-être l’exemple le plus connu d’une loi nationale antérieure à la CITES qui réglemente le commerce tant national qu’international des espèces sauvages. Depuis l’entrée en vigueur de la CITES en 1975, c’est principalement le Endangered Species Act (Loi sur les espèces menacées d’extinction) qui, aux Etats Unis, incorpore les obligations internationales au titre de la CITES ainsi que des dispositions nationales plus strictes qui vont au-delà de la Convention.

La CITES et la conservation, y compris l’utilisation durable.

Lorsqu’un Etat décide d’autoriser le commerce d’une espèce inscrite à la CITES, la Convention stipule que trois obligations doivent être remplies, à savoir:

  • établir un avis d’acquisition légale – soit un document certifiant que les spécimens ont été prélevés dans le respect du droit national ; 
     
  • établir un avis de commerce non préjudiciable –  soit une évaluation de durabilité biologique scientifiquement fondée qui tient compte du rôle de l’espèce dans son écosystème ;
     
  • émettre les permis/certificats appropriés et faire rapport sur la transaction – soit la procédure formelle d’autorisation et de rapport sur la transaction commerciale au Secrétariat de la CITES.

Dans la  base de données sur le commerce CITES sont enregistrées plus de 15 000 000 transactions autorisées. Le commerce légal et durable peut être bénéfique à la fois pour les espèces sauvages et les populationsce qui a été reconnu officiellement par la CITES.15 Le rétablissement de la vigogne en Amérique du sud est un exemple des effets bénéfiques du commerce bien réglementé tant pour les espèces sauvages que pour les populations locales.

La CITES examine constamment les niveaux de commerce international des espèces inscrites, dans le cadre de son  Etude du commerce important.16 Cet exercice est conduit par le Comité des animaux et le Comité des plantes, qui peuvent demander aux Parties exportatrices des précisions sur les niveaux de commerce, notamment sur les avis de commerce non préjudiciable qu’elles ont établis, et formuler des recommandations aux Parties concernées. Si ces recommandations ne sont pas appliquées de façon adéquate, le Comité permanent peut adopter des mesures relatives au respect de la Convention,17  qui, en dernier ressort, peuvent déboucher sur une recommandation de suspendre le commerce des espèces touchées. 

LA CITES, les moyens d’existence et les communautés locales

Comme il est dit plus haut, la CITES reconnaît les effets potentiels de la Convention, tant positifs que négatifs, sur les moyens d’existence. Le commerce légal et durable peut être bénéfique à la fois pour les espèces sauvages et pour les populations, mais les inscriptions peuvent aussi avoir des effets néfastes sur les moyens d’existence. La CITES est consciente de ce problème et plusieurs de ses résolutions et décisions visent précisément à identifier ces effets et à en minimiser les aspects négatifs.18Cette dimension, toutefois, est prise en compte dans le contexte de l’application d’une décision d’inscription au titre de la CITES, plutôt que lorsqu’il s’agit de décider si telle ou telle espèces devrait être inscrite ou non.

La reconnaissance accrue de l’importance de s’engager avec les communautés locales dans la mise en œuvre de la CITES, tant pour le commerce correctement réglementé que pour la lutte contre le commerce illégal, a débouché sur une participation active du Programme de développement des Nations Unies, d’organisations régionales telles que l’OEA (Organisation des Etats Américains) et d’autres instances aux travaux de la CITES.

La CITES, le bien-être animal et les droits des animaux

La question du bien-être animal et des droits des animaux bénéficie parfois d’une grande attention médiatique, tant dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux, en particulier lorsque sont concernés des animaux charismatiques inscrits à la CITES. Nous en avons eu un exemple récemment avec l’extraordinaire couverture médiatique dont a fait l’objet l’abattage au Zimbabwe d’un lion mâle nommé Cecil. Il s’agit là d’un domaine où la plupart des règles sont fixées par le droit national, plutôt qu’international, de sorte qu’elles peuvent varier grandement d’un Etat à l’autre, sachant que la question des droits des animaux est liée à celle du bien-être animal, même si elle s’en distingue.19

La CITES est le premier instrument international, et peut-être le seul à ce jour, à traiter de la question du bien-être animal,20  même si l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE)21s’y est intéressée et que plusieurs conventions ont adopté diverses résolution liées à certains aspect du bien-être des animaux.22

Les dispositions de la CITES  relatives au bien-être animal sont spécifiques et ciblées. Elles portent sur le transport des animaux vivants, et visent à réduire au maximum les risques de blessure, d’atteinte à la santé ou de traitement cruel, et à assurer que les lieux qui reçoivent des animaux vivants23, y compris les centres de sauvetage, sont appropriés. Dans certains cas, des lignes directrices ont été fournies aux Parties pour les aider à respecter leurs obligations au titre de la CITES, notamment celles qui concernent le transport des animaux vivants.24

Les Etats considèrent toutefois que la plupart des questions relatives au bien-être animal devraient être prises en charge par le droit national et non international, et à l’heure actuelle il n’existe aucun traité portant sur le bien-être animal ou les droits des animaux, même si diverses ONG ont déployé des efforts dans ce sens.25 C’est peut-être en partie pour cette raison que la CITES a servi de tribune où se sont exprimées avec passion les opinions les plus diverses et les plus contrastées sur la question du transport international des animaux sauvages - parfois à propos de transactions commerciales précises - que les actions souhaitées par les différents acteurs relèvent ou non du mandat actuel de la CITES.

Ainsi, la CITES est peut-être la seule enceinte internationale où des experts provenant de groupes de défense représentant les points de vue les plus divers  – conservation et utilisation durable, commerce, développement, moyens d’existence, bien-être animal et droits des animaux - s’assemblent pour débattre et contribuent à l’élaboration des décisions et des recommandations sur ces questions ; c’est là une des grandes forces de la CITES. 

Dans ce contexte, il n’est pas inutile d’observer que la CITES n’empêche nullement les Etats de prendre des mesures qui vont plus loin que ce que prévoit la Convention et que l’on qualifie de mesures nationales plus strictes. Il convient toutefois que ces mesures soient conformes aux obligations d’un Etat en sa qualité de membre de l’Organisation mondiale du commerce.

La CITES et le commerce illégal des espèces sauvages – les cas de commerce international illégal

La CITES règlement le commerce international des espèces sauvages inscrites aux Annexes ce qui implique, comme je l’ai déjà précisé, qu’elle s’occupe du commerce tant légal qu’illégal. Pour qu’un commerce national ou international d’espèces sauvages soit qualifié d’illégal, ou de ‘trafic d’espèces sauvages’, expression qui désigne souvent le commerce illégal, il doit être en infraction avec le droit national ou international (ou les deux).

La CITES impose notamment aux Etats qui sont Parties à la Convention de ne pas se livrer à un commerce d’espèces inscrites qui ne serait pas conforme aux dispositions de la Convention, à prendre les mesures appropriées pour appliquer la Convention et à interdire tout commerce qui serait en infraction vis-à-vis de celle-ci, y compris en prenant des mesures de sanction contre ce trafic.

En conséquence, le commerce illégal ou ‘trafic d’espèces sauvages’, aux termes de la CITES, comprend tout commerce de spécimens prélevés dans la nature d’espèces inscrites à l’Annexe I, la non obtention des permis et certificats exigibles pour le commerce d’espèces inscrites à l’Annexe I, II ou III - ou le non respect  de leurs conditions – ainsi que la possession illégale de spécimens importés illégalement ou autrement acquis.

L’ampleur du commerce illégal des espèces sauvages et la réaction internationale

Sans prendre en compte le bois et les produits de la mer, il est estimé que la criminalité liée aux espèces sauvages représente une valeur annuelle de 20 millions de dollars, ce qui la situe au même plan que les autres activités criminelles internationales graves telles que le trafic d’armes ou d’être humains. Permettez-moi de vous donner ici trois exemples qui illustrent l’ampleur du prélèvement illégaux qui alimentent ce trafic.

  • Le braconnage d’éléphants d’Afrique et le commerce illégal de leur ivoire est l’une des formes les plus visibles et les plus destructrices de criminalité à l’encontre des espèces sauvages. Pour la période 2010-2012, il est estimé que 100 000 éléphants ont été braconnés pour leur ivoire. Dans certaines régions telles que l’Afrique centrale, le nombre des abattages dépasse de loin celui des naissances, ce qui fait peser sur les populations de la région un risque imminent d’extinction.
     
  • Le rétablissement du rhinocéros blanc est un bel exemple de succès en matière de conservation, principalement grâce aux efforts déployés en Afrique du Sud, mais cette réussite est aujourd’hui menacée. Le braconnage était bien maîtrisé jusqu’en 2007, année où il n’a touché que 13 animaux. Depuis lors, nous assistons à une augmentation rapide des niveaux de braconnage avec, dans la seule Afrique du Sud, 1 215 rhinocéros abattus l’année dernière pour leur corne.
     
  • Et ces crimes ne touchent pas uniquement les animaux emblématiques que nous connaissons bien. Des espèces moins connues sont touchées, comme les pangolins, petits fourmiliers d’Afrique et d’Asie, qui sont braconnés massivement pour leurs écailles et leur viande : 10 tonnes de viande de pangolin ont été confisquées lors d’une seule saisie en douane, soit l’équivalent de 130 personnes pesant le même poids que moi.

La lutte contre le trafic des espèces sauvages pose de grands défis, mais la bonne nouvelle, c’est que des efforts collectifs sont désormais déployés dans le monde entier pour ce combat, et nous assistons à des progrès encourageants, tant au plan national qu’international, en réaction à l’évolution de cette criminalité extrêmement destructrice ; permettez-moi d’en décrire quelques aspects.

La Conférence des Nations Unies sur le développement durable de 2012, dont les résultats ont été entérinés dans une résolution de l’Assemblée Générale, reconnaissait les “incidences économiques, sociales et environnementales du commerce illicite de la faune sauvage contre lequel des mesures fermes et accrues doivent être prises tant en ce qui concerne l’offre que la demande“ et soulignait “l’importance d’une coopération internationale efficace entre les accords multilatéraux sur l’environnement et les organisations internationales.“26

Ce message a acquis une force nouvelle le mois dernier avec l’adoption par l’AssembléeGénérale des Nations Unies d’une résolution sur ‘La lutte contre le trafic des espèces sauvages’, la première jamais votée par l’AGNU spécifiquement sur ce thème. Ce résultat est l’aboutissement de plusieurs années de montée en puissance de l’attention politique accordée aux effets dévastateurs du trafic des espèces sauvages. .

Ces résolutions, ainsi que celles adoptées par la CITES et d’autres instances, reconnaissent l’implication grandissante dans le trafic des espèces sauvages d’organisations criminelles transnationales, voire, dans certains cas, de milices rebelles ou d’éléments incontrôlés des forces armées. Ce phénomène a modifié la dynamique de la lutte contre ces agissements criminels extrêmement destructeurs, notamment en ce qui concerne des espèces charismatiques comme les éléphants ou les rhinocéros.    

Ainsi,l’Assemblée générale des Nations Unies, entre autres, reconnaît désormais qu’il est important de traiter le trafic des espèces sauvages comme une forme grave de criminalité,27et que la lutte contre la corruption s’impose. La nécessité pour les Etats d’engager les services douaniers, les forces de police, les gardes-nature, les organes judiciaires et, le cas échéant, les forces armées, dans l’application effective de la CITES est également reconnue ; ceci peut exiger une intervention des plus hautes instances politiques. 

L’Assembléegénérale des Nations Unies et les Parties à la CITES, entre autres instances, reconnaissent également la nécessité d’intégrer à la réflexion générale le problème de la criminalité liée aux espèces sauvages en appelant tous les Etats à devenir Parties aux Conventions des Nations unies contre la corruption et contre la criminalité transnationale organisée. Ainsi, les organisations internationales qui s’occupent de douanes, de police, de questions judiciaires, et les conventions portant sur la corruption et la criminalité transnationale organisées deviennent les éléments essentiels de l’architecture en place pour l’application de la CITES et la lutte contre le trafic des espèces sauvages. L’objectif ultime est que ces instances incluent la lutte contre le trafic des espèces sauvages dans leur programme principal et leur travail quotidien.28

De grands progrès ont été réalisés dans ce sens avec la constitution en 2010 du Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages29 (ICCWC), qui est une alliance de cinq institutions internationales de première importance. Cette initiative fournit aux pays un soutien coordonné et un appui technique, notamment grâce aux technologies perfectionnées d’enquête et de lutte contre le blanchiment des capitaux, au partage du renseignement et à la criminalistique moderne. 

En outre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté deux résolutions sur les sanctions des Nations Unies visant les groupes armés en République centrafricaine et en République démocratique du Congo30 qui sont financés par l’exploitation illégale des ressources naturelles, y compris le braconnage et le trafic des espèces sauvages. Les individus et les groupes impliqués dans ces agissements feront l’objet d’une interdiction de voyager et du gel de leurs avoirs. Ces mesures sont essentielles lorsqu’il s’agit d’Etats où l’ordre public n’est plus assuré et où opèrent des milices armées.

Certains ont également suggéré de façon informelle que soit élaboré dans le cadre de la  Convention contre la criminalité transnationale organisée un protocole portant expressément sur le trafic des espèces sauvages, à l’instar du protocole sur la traite des êtres humains, mais jusqu’à présent cette proposition a reçu peu d’échos.

En outre, la communauté internationale se mobilise pour le renforcement des capacités de tous les Etats à respecter effectivement leurs obligations internationales à tous les niveaux de la chaine de lutte contre la fraude, car c’est là que, concrètement, tout se joue. Pour ce faire, il convient de déployer contre le trafic des espèces sauvages les mêmes techniques que celles qui sont utilisées contre le trafic des stupéfiants.

Le rôle du droit international et national dans la lutte contre le trafic des espèces sauvages

Si la CITES comprend des obligations en matière de lutte contre la fraude, à l’instar des nombreux accords internationaux qui intègrent cette dimension, l’application de la loi reste une responsabilité nationale ; les efforts internationaux se concentrent actuellement sur le renforcement de la coopération transfrontalière entre les Etats d’origine, de transit et de destination, et sur l’appui aux efforts bilatéraux, régionaux et transrégionaux de lutte  contre la fraude. Les fruits de cette collaboration entre tous les Etats concernés sont de plus en plus visibles, comme en témoignent les excellents résultats de l’Opération Cobra III, une initiative conjointe de lutte contre la fraude menée au début de cette année avec la participation de 62 Etats en Asie, Afrique, Europe et Amérique du nord.

Certaines voix dans les milieux universitaires et les organisations non-gouvernementales appellent à l’établissement de pouvoirs exécutoires internationaux dans la lutte contre le trafic des espèces sauvages.31  Dans le cadre du régime juridique international existant, il faudrait pour cela que la compétence de la Cour pénale internationale soit étendue de façon à couvrir le trafic illicite des espèces sauvages.  

Une telle initiative présupposerait que ces infractions soient considérées par la communauté internationale comme figurant parmi “les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale, “ tel que le crime de génocide32, et soient inclus dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il est extrêmement peu probable qu’une telle démarche soit entreprise, du moins dans un avenir prévisible.

Comme il est dit plus haut, la CITES comporte néanmoins des procédures pour le respect de la Convention, et diverses mesures d’application ont été adoptées dans le passé, là où s’était vérifié un non respect prolongé de la Convention au plan national. Tout bien considéré, la possibilité de prendre des mesures internationales d’application n’est pas très fréquente dans les instruments internationaux, et c’est la raison pour laquelle la CITES est souvent décrite comme une convention ‘avec du mordant’. 

Conclusions – Engagements internationaux et action nationale

La CITES est un accord international qui fait office de relai entre les engagements internationaux et l’action nationale.

C’est également un instrument qui attire une grande diversité d’acteurs et suscite un débat vivant et passionné sur les questions de commerce, de développement, d’environnement, de moyens d’existence, de bien-être animal et de droits des animaux, certaines de ces questions entrant dans le mandat de la CITES tandis que d’autres relèvent exclusivement du droit national.

Le succès de la CITES repose sur la contribution, l’engagement constant  et la collaboration de nombreuses organisations et individus provenant de disciplines et horizons les plus variés ; la Convention bénéficie grandement de la richesse et la diversité de l’intérêt qu’elle suscite. 

Cette année marque le 40e anniversaire de l’entrée en vigueur33 de notre Convention.  La CITES est considérée comme un bel exemple de coopération internationale menée en conjonction avec les actions au plan national, et un instrument qui a su évoluer pour relever de nouveaux défis. Elle continuera sur cette voie.

Cette Convention visionnaire est tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était en 1975, sinon davantage, pour que nous puissions continuer de bénéficier de la faune et de la flore sauvages – et je vais maintenant citer le texte fondateur de la Convention - “du point de vue esthétique, scientifique, culturel, récréatif et économique.” 

Je vous remercie.

 


 1 Et quelques accords portant sur des espèces spécifiques tels que la Convention sur le phoque à fourrure et la Convention internationale sur la réglementation de la chasse à la baleine.

 2 Il en va toujours ainsi pour les espèces qui ne sont pas inscrites à la CITES ; de nombreux Etats font donc de plus en plus appel à la CITES pour qu’elle les aide à réglementer le commerce international du bois de grande valeur.

 3 Les chiffres du gouvernement des Etats-Unis concernant les importations sur le territoire national, communiqués à la Conférence plénipotentiaire, sont absolument ahurissants : ils font état de l’importation de presque 8 000 peaux de léopard, de près d’1 million d’oiseaux vivants et de plus d’1,4 million de reptiles vivants, ce qui fait pâle figure auprès de l’importation de presque 99 millions de poissons vivants.

 4 Ce sont les Etats – et non les ministères compétents – qui deviennent Parties à une convention, et c’est l’Etat, par le biais de ses organes exécutifs, législatifs et judiciaires, qui prend les mesures nécessaires à l’application d’une convention. Dans le cas de la CITES, les Parties sont tenues de créer au moins un organe de gestion et une autorité scientifique pour accomplir les fonctions liées à la détermination d’acquisition légale et de durabilité biologique, à la délivrance des permis et certificats CITES appropriés, au respect des lois applicables (en coopération avec les services de lutte contre la fraude généraux et spécialisés), et à l’envoi périodique des rapports nationaux.

 7 Environ 3%

 8 Environ 96%

 9 Certaines transactions commerciales internationales ne sont réglementées qu’aux fins d’assurer leur origine légale, la question de la durabilité étant laissée aux mesures déjà adoptées au plan national ; les espèces concernées sont inscrites à l’Annexe II. Environ 1%

10 La ferme des animaux(Animal Farm), George Orwell, 1945

11 Voir la Convention sur la diversité biologique Article 3

13 Par exemple avec l’ICCWC (Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages)

18 Voir par exemple: Résol. Conf. 16.6 La CITES et les moyens d’existence

19 S’il existe de nombreuses définitions, la première distinction entre les deux est peut-être que le concept de bien-être animal accepte l’utilisation responsable des animaux pour satisfaire certains besoins humains alors que ce n’est pas le cas pour celui des droits des animaux, selon lequel les animaux eux-mêmes ont des droits qui doivent être respectés.

20 En particulier, les organes de gestions doivent avoir la preuve que :  “les spécimens seront mis en état et transportés de façon à éviter les risques de blessures, de maladies ou de mauvais traitements” ; le destinataire proposé d’un spécimen vivant d’une espèces inscrite à l’Annexe I devant être importé ou prélevé en haute mer est  “correctement équipé pour l’abriter et en prendre soin” ; tout spécimen vivant inscrit à l’Annexe II prélevé en haute mer “sera traité de manière à atténuer les risques de blessure, de maladies ou de traitements rigoureux” ; durant toute période de transit, repos ou transport, les spécimens vivants sont “ protégés de façon à éviter les risques de blessures, de maladies ou de mauvais traitement” ; les centres de sauvegarde désignés sont en mesure de “prendre soin des spécimens vivants, particulièrement de ceux qui ont été confisqués” ; le commerce de certains animaux vivants se fait uniquement vers des “destinataires appropriés et acceptables.”

21 L’organisation mondiale de la santé animale (OIE) a créé en 2003 un groupe de travail sur le bien-être animal, qui a adopté diverses normes non contraignantes dans ce domaine.

22 La Convention sur les espèces migratoires et la Commission baleinière internationale

24 Voir la Résol. Conf. 10.21 (Rev. Cop16)  Transport des animaux vivants qui recommande aux Parties de promouvoir l’utilisation pleine et efficace par les organes de gestion de la Réglementation IATA sur le transport des animaux vivants (pour les animaux), de la Réglementation IATA sur le fret périssable (pour les plantes) et des Lignes directrices CITES pour le transport autre qu’aérien de spécimens vivants d’animaux et de plantes sauvages.

25 Pour un résumé, voir par exemple sur le site web de la Georgetown Law Library une page consacrée à ce sujet.

26 Pour plus d’informations, voir: CITES: From Stockholm in ‘72 to Rio+20 - Back to the future

27 Selon la définition de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée.

28 C’est déjà le cas avec INTERPOL, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale des douanes, ainsi que la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale.

29 Le Secrétariat de la CITES, INTERPOL, ONUDC, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale des douanes.

30 Résolutions 2134 (2014) et 2136 (2014) adoptées respectivement le 28 et le30 janvier 2014

31 Il y a débat académique sur la question de savoir s’il conviendrait d’inclure un crime d’écocide

32 Article 5